© Carnet à spirales — 2jr.fr

Quand Hécouye et Éphèse faisaient des appeaux... 

Voilà donc l'histoire réelle d'une expression connue de tous, mais très souvent mal orthographiée. Par un beau jour d'automne 1820, le Duc de Mirnouf, passionné par la chasse mais frustré par le maigre gibier qu'il ramenait de ses pérégrinations forestières, imagina qu'il devait être possible de fabriquer un outil apte à lui faciliter la tâche et rendre plus plaisante sa traque des animaux 

 

Il convoqua tous les artisans de la contrée pour mettre au concours la concrétisation de cette idée et leur laissa deux mois pour fabriquer le plus inventif et le plus efficace des appareils.
  

À peine une semaine plus tard, un marchand du nom de Martin Hécouye, se présenta au château clamant à qui voulait l'entendre qu'il possédait ce dont le duc rêvait. Il obtint sans peine une audience auprès du noble seigneur et s'empressa de lui faire la démonstration de sa merveille.
  

Devant une assemblée dubitative mais curieuse, il sortit de sa poche un minuscule sifflet (un appeau) — l’appeau est un instrument utilisé à la chasse pour produire un son particulier attirant les oiseaux ou le gibier — et le porta à la bouche pour produire un son strident qui aussitôt imposa le silence parmi les personnes présentes. À peine quelques secondes plus tard, des dizaines d'oiseaux de toutes sortes s'étaient approchés et virevoltaient autour de lui, comme attirés et charmés par cette étrange mélodie.
  

Le Duc imagina sans peine le profit qu'il pouvait tirer d'un tel accessoire lors  des ses futures chasses. Il s'éclaircit la gorge et ne prononça qu'une seule phrase:
— Combien cela va-t-il me coûter?
  

Martin Hécouye, sûr de lui, répondit qu'il accepterait de se séparer de son objet en échange de la moitié de la fortune de son interlocuteur. Cette requête fit sourire l'assemblée mais le Duc garda tout son sérieux et accepta la transaction.
  

La nouvelle fit grand bruit et se répandit vite bien au delà des limites du duché: un marchand avait vendu un sifflet pour une somme astronomique au Duc qui  en paya le coût sans broncher. 

On ne sait plus aujourd'hui ce que le marchand est devenu par la suite et l'objet n'a pas hélas pas survécu aux années mais cette anecdote a subsisté dans la langue française pour qualifier les objets hors de prix: «Coûter l'appeau d'Hécouye», et non pas «Coûter la peau des couilles» !
  

LA CONTRE-ENQUÊTE :
  

Coûter/valoir la peau d'Hécouye/d'Éphèse
  

Cette expression serait la déformation de «l’appeau d’Hécouye» ou de «l’appeau d’Ephèse». Mais c’est un vieux canular de potaches — la vérité est beaucoup plus triviale. Il suffit pour s’en persuader de consulter un des rares sites (Expressio) ayant relayé la véritable origine de l’expression ou de se pencher, comme nous l’avons fait, sur des ouvrages de référence en la matière.
  

Et que nous ont appris ces vénérables grimoires ?  


D’abord que l’expression n’apparaît qu’à la fin du XIXème, sous la plume d’Alphonse Allais notamment (en 1897), et sous une forme raccourcie : «coûter la peau» (d’après le «Dictionnaire historique de la Langue Française»). Aucun lien avec un quelconque «appeau» donc, ni avec le Moyen-Âge.
  

Ensuite qu’elle trouve sa forme étendue actuelle vers le milieu du XXème siècle. Ainsi, d’après le «Trésor de la Langue Française», l’expression «ça vaut la peau des couilles» est attestée dans un article du «Nouvel Observateur» du 12 janvier 1976. Claude Duneton et Sylvie Claval, les auteurs du «Bouquet des expressions imagées», l’ont retrouvée quant à eux sous la forme «ça coûte la peau des fesses» dans "Les Ruskoffs" de Cavanna, publié en 1979.
  

Cette extension de l’expression s’explique peut-être par contamination d’autres expressions comme «je vous attraperai par la peau du cul», qui se retrouve par exemple dans «Travelingue» de Marcel Aymé, publié en 1941 (d’après la deuxième édition du «Grand Robert»). À noter que ce type d’expression était déjà en usage du temps d’Alphonse Allais : on trouve la phrase «à moins que je vous prenne par la peau du cou» dans «L’Embrasseur», une histoire du recueil «À se tordre» publié en 1891.